top of page
127662363_o.jpg

« Ce qui est excitant avec ce dispositif c’est que le film dans le film permet une liberté, un champs d’action et tout à coup on a des outils d’improvisation, c’est très ludique. » En salle de cinéma, je pense tout haut : « Jusqu’où iriez-vous par amour ? » Une, parmi les autres, des questions bateau qui s’impose devant Les Héros ne meurent jamais. C’est un premier film, un terrain d’expérimentation, pour Aude Léa-Rapin et elle fabrique des réponses sans cloisons : une cohabitation d’impro, caméra incarnée mais muette, coulisses de film, docu, fiction... On ne sait pas tout à fait, les acteurs non plus, flagrants improvisateurs. C’est pas grave. Au rythme ralenti, la caméra cherche son sujet, nous laisse le temps pour penser, pour englober ce qui surgit, nous prend par surprise, on essaie de faire avec. Longue incorporation du chocolat fondu dans les blancs en neige, opération de délicatesse, mouvements répétés, rythme du poignet à maîtriser. Parfois les personnages se mentent (pour le bien du film), le spectateur le sait, il y a des rumeurs, on accepte tout : le film doit continuer. Après tout ce n’est peut-être qu’un film, qu’une simple fiction… C’est un premier film, un terrain d’expérimentation et qu’importe la consistance puisque tous les ingrédients y sont. Puis, dans l’agrégat des bouts d’une histoire qui ne tient pas vraiment debout, on voit apparaître, en creux, les dessins d’idées plus vastes, plus essentielles. Ta mémoire est-elle liée à la mienne ? Où vont les âmes lorsqu’elles ne disent pas adieu ? Les morts sont-ils devenus des fleurs ? Comment guérir avant de mourir ? Suis-je moi aussi une incarnation ? Enfin c’était râpeux, bancal et réjouissant.

Le_Voleur_d_arc_en_ciel.jpg

« Qui se lance dans le vide, dans l’inconnu, avec seulement son talent, qui peut se tromper ? » Ce que j’aime avec Jodo, c’est qu’il est gourou vivant. Et moi, dans ma vie, je me suis toujours dit : « À bas les gourous ! » et cela aidait à évacuer ma culpabilité à propos de la fascination que je nourrissais pour Elvis, Cloclo, mon oncle et les copains de mon oncle. Et puis j’ai rencontré Jodo - qui m’a été présenté par le biais d’un autre gourou, moins connu, moins vieux et dont je suis malheureusement tombée amoureuse. Un hasard. Mais entre Jodo et moi, ça a tout de suite été autre chose. Une rencontre, une compréhension immédiate, une fluidité venue d’ailleurs, un flux, un fluide... Un truc indicible quoi. Enfin ! Enfin quelqu’un allait pouvoir m’aider à comprendre ce que je fabriquais dans mon jardin les soirs de pleine lune, ce que je cherchais auprès de ces hommes qui n’étaient pas mon père et surtout – surtout ! – quelqu’un en qui je pourrai croire aveuglément, un thérapeute dont j’adhère aux dogmes, un amour intime et lointain, un guide, un grand-père, un nounours, un mage. Ou plutôt psychomage, si l’on se réfère à son dernier film Psychomagie, un art pour guérir qui met en scène des actes théâtraux et poétiques et dont la visée est le dévissage de nos blocages internes, acquis ou hérités. Le voleur d’arc-en-ciel, sorti pour la première fois en 1990 est le septième film réalisé par le maître. À l’époque, il rencontre des difficultés avec le producteur et sa femme et renie le fruit de leur travail. Ce n’est que vingt ans plus tard, laissant passer la mort du dit producteur et de son épouse, que l’homme de quatre-vingt-dix ans s’attelle au remontage intégral du long-métrage. C’est à ce moment-là que je découvre la nouvelle version, projeté pour la première mondiale à l’occasion de L’Étrange Festival qui a lieu depuis vingt-cinq ans au Forum des Images de Paris. J’y rencontre en même temps mon maître en chair et en os, venu pour effectuer une séance d’« auto-psychomagie », en public. Le scénario dense aux décors burlesques présente l’enchevêtrement de personnages vivant chacun dans un entre-deux mortel. L’oncle Rudolf (Christopher Lee) git entre la vie et la mort. Le Prince Meleagre (Peter O’Toole) vit reclus sous terre dans l’attente de la mort de son oncle et dans le deuil de son chien Chronos, lui-même incarné par une marionnette de substitution qu’il ne quitte jamais. La famille des deux hommes vit dans l’attente de l’héritage de l’oncle mourant. Dima (Omar Sharif) vit en compagnie du Prince dans l’attente de la mort de l’oncle afin d’hériter d’une partie de sa fortune. Et en attendant, tout le monde vit dans des conditions inhumaines. Finalement dans l’histoire, il n’y a que les chiens qui n’attendent rien et c’est encore eux qui s’en sortent le mieux lorsque l’on apprend que l’oncle lègue l’intégralité de son testament à ses escortes les Rainbow Girls, aussi longtemps qu’elles s’occuperont de ses dalmatiens adorés. Patience est reine. Cette nouvelle est le déclencheur du dénouement, poussant Dima à se rebiffer contre le Prince avec lequel il entretient un beau syndrome de Stockholm. Le Prince quant à lui s’autorise à mourir en paix alors que le courant des égouts dérobe sa marionnette. Dima, délivré de son maître et de l’attente d’un trésor qui ne lui appartient pas, est à présent libre de cheminer où bon lui semble. C’est à son tour de devenir maître lorsque le chien Chronos, que tous pensaient mort, réapparait hors des égouts, comme par magie. On dirait que Jodo a plus d’un tour dans son sac. J’ai attendu une bonne heure et demie dans la file d’attente des visiteurs « sans tickets » afin d’assister à ce spectacle. In-extremis, mon jeune gourou en toc m’informe par sms qu’il n’assistera pas à la séance, retenu par ses travaux et m’invite à prendre sa place réservée à l’accueil. M’exécutant, j’ai un pincement au cœur mêlé à une joie timide. Je ne suis pas sûre de ce qu’il s’est produit ce soir-là. Je ne suis pas ressortie maîtresse de cette salle, mais quelques jours plus tard, je quittais le gourou en toc, partais m’installer au Havre et rencontrais cette bande d’adorables hurluberlus qui essaient d’écrire. J’aime toujours le toc, Jodo, les chiens et la magie mais, depuis ce jour, une pluie fine et quelques rayons de soleil font vibrer ma route aux couleurs de l’arc-en-ciel.

vincent_n_a_pas_d_ecaille_affiche.jpg

« C'était la caresse la plus longue du monde. » J’ai envie de sentir le fragile. La vulnérabilité que je brandis. Vincent n'a pas d'écailles, je le trouve tendre comme une caresse ; rude comme le monde et pourtant tout est tenu (ténu ?) dans une finesse toute maigre, presque sans mots parce que tant d'autres choses, qu'on n'a pas l’habitude d’écouter, prennent subitement la parole. Un homme a des forces décuplées lorsqu'il est mouillé. Essaie de s'en débrouiller, de vivre avec et de vivre avec les autres. Au milieu d’une bande son millimétrée par les souffles du vent, des vagues et des renards, il tente de tirer le fil d'un équilibre entre son humanité et l'animalité qui l'habite, inconditionnellement partout : fontaines publiques, lacs, étangs, noues, fleuves, chaussées boueuses, bouteille Cristalline, lavoirs, océan, baignoire. Il est poisson alligator baleine dauphin fugitif amant migrant bricoleur ami guerrier, fragile Spiderman à l'endroit du baiser ; juste un homme en fait. Comme ceux-là, réfugiés dans l’eau pour puiser de la force, de la confiance pour faire face, ou bien se cacher d’une troupe en képi et à l’affût. Burlesque Keaton. C’est l’histoire d’un homme narrée par un homme (Thomas Salvador), dont le strabisme nous plonge dans une caresse interminable. J’y ai vu une réflexion sur notre rapport aux éléments naturels et au construit, à nos environnements. Et qui s’étend à repenser la masculinité dans une fable sans morale : celle de la nudité des choses.

bottom of page